jeudi 20 juin 2013

Connaître bien l'autisme

L'absence de diapason social
Sans en connaître tous les mécanismes, nous cernons aujourd'hui ce qu'est l'autisme : l'absence de diapason social.
Le "tout-petit" intact possède l'équipement nécessaire pour s'accorder comme un violon, sur le rythme maternel ou humain. Il "vibre"à l'unisson avec son partenaire, dès les premières heures de la vie terrestre et in utero il "dialoguait" déjà avec sa mère au moyen du placenta.
Grâce à cette "mise en phase", cet "accordage", se façonnent l'attachement, l' "empreinte", c'est-à-dire la possibilité pour le petit humain de se laisser guider et de négocier avec son environnement suivant un protocole, un "plan", une "partition"transmise par le partenaire adulte.
Ce programme n'est déjà plus simplement génétique; il transmet la culture et la tradition de "l'espèce"et l'histoire singulière de la filiation , et organise puissamment les conduites dans les premiers mois de la vie puis plus lentement jusqu'à l'âge adulte, plus discrètement ensuite, mais sans répit tout au long de la vie.
Certains aspects ont des limites prédéterminées : par exemple, on ne connaît pas d'adulte pesant un kg, mesurant quarante cm. et vivant cent cinquante ans ; mais le contexte surviendra à tout moment pour fixer la taille et le poids définitifs, ainsi que le jour et les conditions de la mort.
En se guidant sur un plan, le bébé humain ajuste ses perceptions et filtre son environnement (trie ce qui est important et ce qui l'est moins pour l'espèce et pour lui, individu singulier) selon les données humaines et culturelles, sans être submergé.
Instruments et orchestre, chef et compositeur se mettent au diapason, évitent la cacophonie et créeent une oeuvre : une vie. Lors de chaque représentation, suivant l'interprétation du chef d'orchestre et l'exécution de la partition par les musiciens, la musique est unique.
L'enfant autiste naît lui aussi avec un potentiel émotionnel (une intensité de vibration) et une capacité d'apprendre (un potentiel cognitif) importants lorsque d'autres déficits ne lui sont pas associés plus ou moins massivement (malheureusement le poly-handicap est la règle plus que l'exception). Malgré cela, l'essentiel fait défaut : l'enfant autiste ne vibre pas au diapason, les instruments ne sont pas accordés et l'orchestre improvise sans partition.
De ce rendez-vous manqué à un âge où l'enfant se construit, va découler l'anarchie, la cacophonie émotionnelle et cognitive (intellectuelle).
Le jeune autiste va grandir "hors tradition", "hors culture", suivant les rythmes qu'il perçoit. Pourtant, Dieu sait s'il vibre ! Mais ce seront les rythmes "naturels", qui le mettront en phase et non l'humain !
Rythmes tactiles, touchers et pressions, balancements et bercements l'attirent avant que ne dominent les rythmes visuels, ou sonores, sur les deux canaux sensoriels qui s'imposent au cours de la première année.
Sans plan, ni architecte, l'enfant autiste ressemble au maçon ou au bricoleur inexpérimenté qui décide de construire sa maison. 
Comment parler de "forteresse vide", là où n'existe qu'un échafaudage précaire, élaboré au gré du hasard, s'écroulant dès le moindre coup de vent, au moindre changement, tel un château de cartes ?
Ce n'est pas l'absence du partenaire humain, la mère déprimée ou insconsciemment absente ou "rejetante" qui fait défaut : il manque à l'enfant la capacité de vibrer au diapason, de prendre place dans un projet, de s'inscrire sur une trame. Emotions et cognitions (la capacité à traiter l'information) ne sont pas jouées sur la même partition : l'orchestre improvise, plutôt mal que bien.
La trame sociale : ces "tuteurs verticaux", est inutilisable. La navette et son double fil, cognitif et émotionnel, ne sait quel chemin la guide ni quelle trace emprunter, pour que se monte un tissu : une nouvelle histoire humaine singulière. Les fils s'entrecroisent : tissu d'aberrations et de trous !
Le compositeur ne reconnaît plus sa musique dans le concert étrange qui va suivre !

L'héritage du passé : idées fausses et croyances
Karl Popper souligne que la connaissance scientifique ne progresse qu'à travers l'élimination des erreurs : "N'est scientifique que ce qui est réfutable. Chaque fois que nous tentons de donner une solution à un problème, nous devrions aussi rigoureusement que possible, essayer de la dépasser, plutôt que de la défendre".
Pendant cinquante ans, se sont accumulées quelques connaissances sur l'autisme, et beaucoup d'idées fausses. Nous essaierons de comprendre pourquoi elles sont si tenaces et résistent aux nombreux travaux qui les démentent. Voici les plus répandues, bien que largement réfutées. Nous tenterons d'analyser pourquoi un climat passionnel maintenu par des querelles de chapelles et des croyances continue encore aujourd'hui dans notre pays. 
Les premières publications portaient sur des cas exceptionnels choisis parmi la clientèle du célèbre praticien. Les biais méthodologiques faussaient l'interprétation à la base : caractère exceptionnel des cas décrits, pas de recherche systématique sur des échantillons plus vastes. Kanner, par exemple, décrit onze cas en tout et pour tout : cinq enfants de psychiatre ou de psychologue, les six autres ayant des parents universitaires. Faut-il en déduire que la profession de psychiatre ou celle d'universitaire est une profession à risques en ce qui concerne l'autisme ? L'échantillon est-il représentatif ? Tout chercheur un peu sérieux aujourd'hui se poserait la question. Ce n'était pas le cas à l'époque.
Nous verrons plus loin que l'autisme touche en fait de la même manière toutes les classes sociales, tous les milieux et toutes les races avec la même intensité. En 1979, en Caroline du Nord, Eric Schopler étudie un échantillon de 264 autistes ; plus de la moitié (61 %) proviennent d'un milieu économique aux revenus modestes. En Angleterre, les premiers recensements, qui portent sur 78 000 enfants âgés de huit à dix ans, trouveront quinze enfants autistes "purs" également répartis parmi toutes les catégories socio-culturelles et économiques, invalidant les premières conclusions de Kanner sur l'origine intellectuelle et bourgeoise des mères d'enfants autistes. Il n'empêche qu'encore aujourd'hui ne peuvent protester que ceux qui sont suffisamment informés et ont les moyens de changer de praticien, les autres étant trop souvent obligés d'accepter ce qu'on leur offre sans discuter.

L'enfant autiste est-il génial ?
L'autiste, surtout lorsqu'il est hypertonique, se présente souvent comme un bébé vif, indépendant et volontaire durant sa première année. Ses déficits intellectuels et sociaux ne vont se révéler qu'avec le temps, car ils portent surtout sur sa difficulté à établir des relations sociales réciproques et sur des opérations mentales abstraites et verbales. Le petit enfant n'est pas encore à ce stade et le fossé ne va se creuser qu'au fil des années. Les enfants autistes les moins atteints ou les plus intelligents peuvent donner l'illusion pendant les premières années d'être surdoués, tant ils développent et accumulent de connaissances qui leur permettent d'organiser leurs intérêts et leurs obsessions. Mais leur intelligence est rigide dès qu'on les sort de leurs "passions". Leurs talents exceptionnels s'exercent là où il n'est pas nécessaire de spéculer à partir du point de vue de l'autre, et de lui attribuer des "états mentaux"différents. La littérature de l'autisme regorge de "calculateurs prodiges"(cf. le film "Rain Man") de dessinateurs ou d'enfants dotés de capacités musicales extraordinaires. Pourtant comme le note Eric Schopler, ils sont plus nombreux dans les exposés des scientifiques que dans la réalité …
Qu'en est-il exactement ? En réalité, même les plus doués souffrent d'une forme d'intelligence qui ne leur permet pas de saisir les subtilités du social ni du langage verbal au cours d'une conversation, étant donné le manque de réciprocité et les particularités de la pensée autistique. Les règles du jeu social leur sont presque impénétrables et il leur faut assumer des efforts considérables là où les autres enfants se laissent aller à ce qui devient vite pour eux un automatisme : régler leur distance, leurs postures, leurs mimiques, le timbre de leur voix, savoir comment s'approcher d'un groupe ou mener une conversation en tenant compte des intérêts de l'autre.
D'autre part, les deux tiers des autistes présentent un retard mental, explicable d'une part par le fait que certains éléments de la charpente intellectuelle (dont la compréhension du langage et la "lecture" de l'environnement) sont très limités. Toutefois, on peut penser que certaines pathologies à l'origine de l'autisme sont responsables de retard mental associé.

L'autisme est-il une psychose ?

L'autisme fut longtemps considéré à tort comme une forme de shizophrénie infantile sans qu'aujourd'hui cette hypothèse soit retenue. En effet, même les formes les plus précoces de cette dernière commencent rarement avant la puberté et dans ces cas, le développement social et celui du langage ne sont pas qualitativement perturbés dans la première enfance. Enfin le mot psychose ne convient pas car l'enfant ne déforme pas le réel après se l'être représenté, il ne le construit pas. Certaines bizarreries liées à des conduites de réassurance donnent parfois l'impression du délire mais en fait il n'en est rien et l'action des neuroleptiques est extrêmement limitée et peu recommandable dans l'autisme sauf lorsqu'existe un manque complet d'alternatives comportementales, ce qui est extrêmement rare ou devrait l'être.

La théorie de la "dépression maternelle" : le péché d'Eve
C'est une des plus tenaces, ce qui laisse à penser que ses défenseurs en tirent de nombreux bénéfices secondaires. Elles possèdent entre autres le mérite de tranquilliser bien des esprits masculins chagrins, issus de culture judéo-chrétienne où culpabilité, péché et maladie sont associés.
Elle suggère, avec des variantes suivant les courants intellectuels à la mode, que le fonctionnement pathologique des parents, mais surtout celui de la mère (voire de la grand-mère, tant qu'à faire !), est à l'origine des troubles autistiques. Dans les années cinquante, on suppose naïvement qu'un stress précoce "bloque"le développement de l'enfant. Mais les études systématiques réalisées en particulier par M. Rutter montrent qu'il n'en est rien. Comme les croyances ont la peau dure, il fut ensuite supposé que l'autisme provenait d'un "rejet"inconscient, encore plus difficile (ou facile) à trouver vu le caractère "peu sondable"de celui-ci. Ensuite fut supposé que la relation "mère/enfant" était de qualité insuffisante pour "permettre l'accès au symbolique". De vous à moi, si cette théorie était juste, peu d'entre nous y auraient accès. Enfin toujours "Reine"trône la théorie de la "fameuse maternelle". Trois hypothèses sont possibles :

Au moment de la consultation, la mère est effectivement déprimée, ce qui confirme la théorie.

Autre cas, la mère n'est pas déprimée. Il est alors suggéré qu'elle a dû l'être antérieurement sans que l'épisode ne laisse de traces, hormis l'enfant : la théorie est sauvée.

Enfin, dernier cas, la mère n'est pas et soutient qu'elle ne s'est jamais sentie dépressive dans les premiers mois de la vie avec son bébé.
Il s'agit alors du pire cas puisqu'il y a "déni de la dépression" ou "forclusion", c'est-à-dire que la mère a nié sa dépression grâce "à des défenses maniaques", ou ne l'a même pas ressentie du fait de "défenses psychotiques". Le tour est joué, la boucle est bouclée, tous les cas de figures étant couverts, la théorie peut continuer à dormir sur ses lauriers. Tout reste en place, pour la plus grande tranquillité du professionnel. En d'autres termes, c'est l'exemple d'une croyance, et non d'une théorie scientifique.
On voit assez fréquemment dans le métier de "soignants"en psychiatrie des gens qui préfèrent "tordre"la réalité pour qu'elle rentre dans le moule de la théorie plutôt que d'y renoncer.
Pourquoi n'est-il pas possible de sortir de cette impasse ? C'est en partie parce que les théories en psychiatrie sont plus que des modèles conceptuels : ce sont les antidépresseurs des professionnels devant le peu de résultats obtenus dans la pratique. Elles ne coûtent pas cher intellectuellement et elles rapportent gros puisque l'accusé c'est l'autre. Revenons une minute à Karl Popper pour le citer : "Le travail du scientifique consiste à avancer une nouvelle idée et à la soumettre à des tests. Elle doit être d'une forme qui rende possible tant de la vérifier que de la réfuter. Une expérience subjective ou un sentiment de conviction ne peuvent jamais justifier un exposé scientifique … La psychanalyse, elle, est irréfutable car son pouvoir d'interprétation est infini : elle peut tout assimiler".

Parents, blindez-vous !
L'article publié sous ce titre par Eric S. Schopler il y a vingt ans n'a pas pris une ride. C'est que le mécanisme qu'il étudie repose probablement sur une constante de l'esprit humain : nous avons besoin de boucs émissaires. Les parents d'autistes sont des candidats parfaits.
Côté "persécuteurs"(Schopler reprend ici l'analyse d'Allport) doit se trouver un mélange de sentiment d'échec, de culpabilité et d'anxiété, mêlées de conformisme et de besoin de réassurance, qui trouve la solution peu coûteuse de sortir de l'impasse. Dans le cas de l'autisme, le professionnel, désigné et payé pour guérir, ne le sait, ni le peut. Il expérimente alors un inévitable sentiment de frustration. Face à l'enfant autiste, il est sans cesse renvoyé à son échec et son impuissance sans qu'il puisse la défouler directement sur celui-ci. D'autre part, il assume au sein de son équipe une situation de pouvoir et un manque de réponse fait vaciller son autorité. 
Enfin, le courant dominant d'influence psychanalytique l'oblige à se démarquer et le met en position de devoir se justifier s'il pense ou sent différemment.
Côté "victime" : elle doit être facile à désigner, minoritaire, en termes de prestige ou de nombre. Elle doit être accessible et affaiblie. La grande majorité des parents d'enfants autistes remplissent à merveille ces conditions : ils sont demandeurs d'aide et prêts à tout pour faire cesser leur cauchemar; ils sont blessés dans leur affection par l'indifférence de leur enfant et sont peu aidés sur le plan social; ils sont minoritaires et seules se révoltent les classes sociales qui peuvent se le permettre. Est-ce pure coïncidence, si le fondateur de la National Society for Autistic Children en 1964, le Dr. Rimland, est père d'un enfant autiste et médecin réputé ? Si le Dr. Lorna Wing, en Angleterre, psychiatre et mère d'une fille autiste fondera la British National Society ?
L'alternative est simple : se soumettre, ce qui dans l'autisme implique d'accepter de longues thérapies d'efficacité douteuse, où toute expression d'ambivalence à l'égard de l'enfant atteint abonde dans le sens voulu; se révolter et acquérir plus de savoir et de prestige que le "persécuteur", ce qu'il considérera comme une défense, preuve d'un fontionnement pathologique à l'origine des troubles de l'enfant. Et tournez manèges !

Renouer le dialogue avec les "spécialistes"
Bien sûr l'hypothèse initiale présume que l'environnement et surtout le premier partenaire (la mère) était à l'origine des graves troubles de l'enfant, véritable "aveugle social", était une conception légitime. Mais toutes les recherches systématiques et empiriques auxquelles elle fût soumise s'avérèrent négatives. Depuis les années 70, les travaux concluent tous dans le même sens : les parents d'enfants autistes ne diffèrent pas des autres groupes de parents quant à leurs aptitudes éducatives. La notion de rejet parental n'est pas non plus objectivée.
En revanche, les études effectuées sur les enfants ayant subi des séparations précoces, des hospitalisations, des séjours en institution et autres stress, montrent qu'ils développent plus de troubles psychiatriques, mais qui n'ont rien à voir avec l'autisme. Par contre, il est vrai que le profond stress émotionnel représenté par le fait d'avoir un enfant autiste peut précipiter des décompensations chez les parents fragiles.
Malgré l'accumulation des résultats, remettre en cause les croyances qui ont été celles des professionnels pendant un demi-siècle n'est pas facile. Il faut attendre la relève. Pendant ce temps, les parents se préoccupent, non pas des théories mais des bénéfices que leurs enfants en retirent. Ils s'organisent, ils s'informent. Depuis la multiplication des voyages et l'apparition de l'informatique (banque de données, télécopies, etc…), il suffit de quelques heures pour qu'une association se procure le travail d'un scientifique qui l'intéresse. La plupart sont abonnées à de nombreuses revues pluridisciplinaires, épluchent les "abstracts" et font circuler de plus en plus vite les informations nouvelles à leurs adhérents.
Il en résulte un déséquilibre : les associations, spécialisées et aux aguets, deviennent plus compétentes et mieux informées que les professionnels. Les parents qui consultant se représentent souvant mal l'étendue du champ professionnel et s'étonnent de ne pas trouver des hyper-spécialistes même lorsque les troubles représentent un pourcent de la consultation du praticien. Une relation de méfiance s'instaure, néfaste pour tous. Il faudra pourtant que les professionnels apprennent à dialoguer avec les associations plutôt que rivaliser, en maintenant leurs illusions de pouvoir. Les parents doivent également comprendre que l'évolution rapide des techniques rend impossible l'actualisation dans tous les domaines. Ceci implique de définir une autre place pour le professionnel et une autre manière de travailler. Il y a donc des deux côtés toute une révolution des mentalités à opérer si l'on veut cesser les hostilités, qui nuisent à tous et en premier chef aux principaux intéressés : les autistes eux-mêmes.
Avec l'aimable autorisation du Dr Milcent.
Découvrez davantage au sujet d'Connaître l'autisme (du Dr. Milcent) sur www.autisme.ch

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